L’entité sioniste ou l’assassinat comme politique

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Cet article de The Intercept est un compte rendu de lecture de « Rise and kill first », un livre sur la politique d’assassinat mené par l’entité sioniste à l’encontre de ses ennemis, palestiniens en premier lieu.

« Rise and kill first » est un extrait d’une exhortation talmudique: « Si quelqu’un vient pour te tuer, lève-toi et tue-le avant »

Le livre, qui a donné lieu à quelques articles en français que vous trouverez sur la toile, dont le lien ci-dessus (mais pas aussi intéressants que celui que je vous propose) relève certains faits importants. Par exemple que la violence meurtrière à l’égard des civils caractérise le projet colonial sioniste dès le départ avec l’imitation des méthodes en vigueur dans la police tsariste qui les exerçaient aux dépens des Juifs de l’Empire russe. L’histoire de la Haganah, c’est-à-dire l’armée sioniste, prétendument la plus morale du monde, s’inscrit précisément dans ce phylum. Ou encore que, contrairement aux autres Etats, où on tend à laisser les assassins dans l’ombre, l’Etat sioniste tend à les valoriser au point d’en faire des hommes de gouvernement de premier plan.

On apprend ainsi qu’un homme qui deviendra chef de l’Etat sioniste, Yitzhak Ben Zvi, ordonna l’assassinat en 1924 de Jacob Israel de Haan, un chef religieux juif qui s’était éloigné du sionisme politique. Jacob Israel de Haan était par ailleurs un homosexuel et on a parfois prétendu que ce fut une des causes de son assassinat…

Charles Glass complète cependant le propos de l’auteur du livre en notant le rôle des Britanniques, notamment d’un officier sioniste chrétien, dans la formation des tueurs sionistes, de Moshe Dayan en particulier.

Plus important, et la comparaison avec la pratique de l’assassinat à grande échelle par les Etats Unis vient à l’appui de ce constat, la leçon qu’on peut retirer de la politique d’assassinats menée par le régime sioniste est que, si elle semble permettre des victoires tactiques, elle ne permet aucunement de répondre à l’enjeu essentiel qui est celui de la survie à long terme de l’Etat voyou. Elle peut même au contraire avoir des conséquences négatives sur ce plan ainsi que l’a montré l’émergence du Hezbollah au Liban, une force redoutable pour l’entité sioniste apparue au sein d’une communauté chiite qui, auparavant, ne représentait nullement une menace pour Tel Aviv

Nous touchons du doigt ici l’incapacité stratégique de l’Etat voyou qui, s’il veut perdurer, ne doit pas se projeter à dix ans, ni même vingt ans mais plutôt à cent ans s’il veut avoir quelque espoir de subsister au milieu de communautés multimillénaires.

« Rise and kill first » explore les effets pervers du programme israélien d’assassinats
Par Charles Glass, The Intercept 11 mars 2018 traduit de l’anglais par Djazaïri

Le titre du livre

Au milieu des années 1960, l’auteur de comédies pour la télévision Sol Weinstein avait produit une série de livres parodiques avec l’agent Israel Bond du M 33 et 1/3, un Mossad à peine déguisé. «Loxfinger», «Matzohball», «Au service secret de Sa Majesté la Reine» et «Vous ne vivez que jusqu’à ce que vous mouriez» étaient la réponse de la Borscht Belt au machisme chic des romans d’Ian Fleming qui se frayaient un chemin sur grand écran. Les exploits de l’agent Oy-Oy-7 étaient très drôles.

« Non seulement un détenteur d’Oy-Oy était autorisé à tuer », écrivait Weinstein en 1965 dans « Loxfinger », mais « il était également habilité à assurer un service commémoratif pour la victime. » Plutôt que « shaken not stirred« , Bond Schlemiel exigeait des egg creams dans « le style de la 7ème et de la 28ème tue… pas de copeaux de glace dans des verres Corning de 25 cl. » Il allumait ses Raleighs bout-filtre avec son « Nippo, véritable copie japonaise d’un Zippo. » Les trois premiers épisodes étaient sortis en 1965 et 1966. Le quatrième, « Vous ne vivez que jusqu’à ce que vous mouriez », a été publié un an après la guerre des Six Jours de 1967 et a mis fin à la série. L’agent secret juif n’était plus une blague.

Comme Ronen Bergman le dit clairement dans son exposé pénétrant sur le programme d’assassinat secret d’Israël, «Rise and Kill First: L’histoire secrète des assassinats ciblés d’Israël», les agents envoyés par Israël pour assassiner ses ennemis n’étaient jamais très drôles. Israël est une rareté parmi les nations: Plutôt que de confiner ses assassins dans l’ombre, il les promeut au poste de Premier ministre. L’histoire de Bergman fait état d’assassinats extra-judiciaires exécutés en personne par Menahem Begin, Yitzhak Shamir, Ariel Sharon et Ehud Barak, qui tous se hissèrent à la tête du gouvernement israélien. Ce livre soigneusement documenté, écrit en sept ans et demi, met en lumière un appareil d’État qui brouille les distinctions entre collecte de renseignements et opérations, soldats et assassins, politiciens et meurtriers, mais revendique plus de triomphes que de défaites.

Bergman, un ancien avocat israélien et journaliste d’investigation, trace non seulement les détails des assassinats au cours du siècle dernier, mais aussi l’effet pervers de dépendre d’opérations secrètes à l’exclusion de la diplomatie et du compromis. Pourquoi négocier avec vos ennemis quand il est si facile de les tuer ?

Dès les premières décennies de la colonisation sioniste européenne dans la Palestine ottomane, certains colons imitèrent les méthodes de l’Etat policier tsariste, dont ils avaient fui l’antisémitisme en marquant des ennemis à éliminer. Bergman reprend l’histoire de la fondation en 1907 par Yitzhak Ben Zvi de Bar Giora, du nom de Simon Bar Giora, chef d’une rébellion malheureuse contre Rome au 1er siècle après JC. Cette organisation devint le Hashomer,l a Garde, puis la Haganah, puis les Forces de défense israéliennes, ou FDI [l’amée de l’entité sioniste, NdT]. Parmi les premières victimes de Bar Giora, il y eut Araf al-Arsen, un officier de police arabe que Ben Zvi considérait comme hostile aux colons, en 1909. Les massacres ne cessèrent pas après que les Britanniques eurent occupé la Palestine avec l’intention de créer, selon l’expression de la Déclaration Balfour « un foyer national pour le peuple juif. « Ben Zvi ordonna l’assassinat en 1924 d’un chef religieux juif, Jacob de Haan, connu pour son opposition au sionisme. Le tueur était Avraham Tehomi qui avait rompu avec le dirigeant juif le plus populaire de la Palestine, David Ben Gourion, pour fonder l’Irgoun Zvai Leumi (Organisation militaire nationale) en 1931. Ben Gourion était à l’époque opposé aux assassinats, un point de vue qui évolua quand il fut au pouvoir dans le nouvel Etat. Pendant ce temps, des factions sionistes clandestines assassinaient des officiels et des civils britanniques et arabes.

Bergman raconte en détail les nombreuses opérations entreprises par l’État naissant qui ont contré un programme de missiles égyptiens, brisé l’échine des commandos palestiniens opérant depuis Gaza, pénétré les services de renseignement syriens et placé des micros espions dans l’appartement en Allemagne où de jeunes activistes palestiniens planifiaient des raids en Israël. C’est une histoire étonnante, pleine de prouesses, mais Bergman ne néglige pas les crimes de guerre commis en cours de route. Le massacre par Ariel Sharon d’au moins 99 personnes dans le village de Qibya en Cisjordanie en 1953 n’était fait qu’un parmi tant d’autres qui tournaient en dérision Tohar HaNeshek, la pureté des armes, qu’Israël revendiquait pour ses forces armées [l’armée la plus morale du monde, NdT]. En outre, la concentration des ressources sur les assassinats, écrit Bergman, a conduit Israël à ignorer les signes annonçant que l’Egypte et la Syrie préparaient une guerre en octobre 1973 pour récupérer les territoires perdus en 1967.

Dans la soirée du 9 avril 1973, Israël lança « l’une des plus grandes opérations d’assassinats ciblés du vingtième siècle, sinon la plus grande », pour tuer trois responsables palestiniens à Beyrouth. Soixante-cinq agents, dirigés par Ehud Barak habillé en femme, débarquèrent de 19 canots pneumatiques, soutenus par 3 000 agents de communications, de logistique et de renseignement en Israël, et firent irruption dans les appartements des trois Palestiniens. L’un d’entre eux, Kamal Nasser, était un porte-parole, pas un combattant. La femme d’un autre, Yusuf al-Najar, est morte près de lui dans leur lit. Bien que je fus à Beyrouth ce soir-là, je n’appris pas le raid avant le lendemain matin quand des Palestiniens en colère manifestèrent dans les rues. Des rumeurs circulèrent sur une collaboration de l’Etat libanais avec les Israéliens, ce qui n’était pas le cas. Le pays se polarisa alors sur la question palestinienne. Bergman ne traite pas des effets du raid sur le Liban qui a vu l’OLP et l’armée libanaise s’affronter en mai, préfigurant la guerre civile qui devait suivre en 1975 et pousserait Israël à envahir le Liban en 1978 et en 1982.

Parce que le livre se concentre sur les actions israéliennes et leurs effets corrupteurs sur la politique israélienne, il y manque parfois leurs conséquences dans les pays où elles ont eu lieu. Se servir des citoyens juifs de Syrie, d’Egypte et d’Irak comme espions, par exemple, a créé la fausse impression que leurs communautés étaient des cinquièmes colonnes. Bombarder et envahir le Liban dans les années 1970 et 1980, l’assassinat étant un élément essentiel de la campagne, a fait émerger de la communauté chiite libanaise jusqu’alors pacifique une organisation appelée Hezbollah qui est devenue la force de guérilla la plus efficace qu’ait jamais affrontée Israël.

Ce livre traite des opérations ratées, comme l’assassinat du serveur marocain Ahmed Bouchikhi [frère de Chico du groupe de musiciens flamenco les Gipsy Kings], que les agents israéliens avaient pris pour le chef des renseignements palestiniens, Abu Hassan Salameh. Il admet également qu’une partie de la campagne pour tuer Salameh, qui finit par réussir à Beyrouth en 1979, a eu pour conséquence une rupture de sa relation avec la CIA dont Israël craignait qu’elle conduise à la reconnaissance politique de l’OLP. Tuer était un outil non seulement pour épargner des vies israéliennes, mais aussi pour influer sur la politique internationale.

Ahmed Bouchikhi, à gauche, a été assassiné en 1973 à Lillehammer (Norvège) devant sa femme par le Mossad qui l’avait pris pour le leader palestinien Ali Hassan Salameh

Tout excellent que soit ce travail, il n’est pas sans absences inexpliquées, dont l’inclusion ne contredirait en rien la thèse de Bergman. L’une est le rôle d’un officier de l’armée britannique et fervent sioniste chrétien, Orde Wingate. Pendant la révolte arabe de 1936-1939 contre la domination britannique et la colonisation sioniste, Wingate entraîna de jeunes combattants juifs de ses escadrons de nuit spéciaux [Special Night Squads], dont Moshe Dayan, à assassiner et à terroriser les villageois arabes. Ses activités ne méritent qu’une brève note de bas de page dans «Rise and Kill First», bien que l’État israélien a reconnu sa dette envers lui en donnant son nom au Centre Wingate Institute pour l’éducation physique et le sport en 1957 en l’honneur de «l’ami». Un autre élément manquant est l’affaire Lavon de 1954, quand Israël a payé des agents juifs égyptiens pour poser des bombes dans des centres culturels américains afin de nuire aux relations entre les États-Unis et le nouveau régime de Gamal Abdel Nasser. L’opération avait échoué avec la capture des agents par les Egyptiens, et le ministre israélien de la Défense Pinhas Lavon avait été contraint de démissionner suite à la condamnation internationale.

Bergman écrit: «Depuis la Seconde Guerre mondiale, Israël a assassiné plus de gens que n’importe quel autre pays occidental.» Les chiffres qu’il cite – 1 000 morts avant la deuxième Intifada palestinienne, 168 «liquidations» réussies pendant cette Intifada, et 800 assassinats ciblés « depuis lors – sont sans comparaison avec le record des États-Unis. Au Vietnam seulement, l’Opération Speedy Express et le Programme Phoenix in Vietnam ont coûté la vie à plus de 30 000 partisans du Viet Cong. Les escadrons de la mort dirigés par les États-Unis en Amérique latine ont tué des milliers de personnes. Depuis le 11 septembre, les États-Unis ont adopté l’assassinat d’ennemis présumés comme un instrument politique légitime, même si sa légalité est douteuse. « Killing Hope: les interventions de l’armée américaine et de la CIA depuis la Seconde Guerre mondiale » le livre de William Blum cite plus de 50 tentatives de la CIA pour attenter à la vie de politiciens étrangers. La CIA a tenté et n’a pas réussi à tuer Zhou Enlai en 1954, le général irakien Abdel Karim Kassem en 1959, et Fidel Castro, à plusieurs reprises. Masquant ces échecs ont été la participation réussie de l’agence au meurtre du dirigeant congolais Patrice Lumumba en 1961, des frères Diem au Vietnam en 1963 et de Salvador Allende au Chili en 1973. Ce n’est qu’en 1976 que le président Gerald Ford signe le décret 11905 qui interdit aux agents du gouvernement de «se livrer, ou conspirer à s’engager dans, l’assassinat politique». Ce décret, avec de nombreuses autres protections, a été jeté par-dessus bord en 2001, à la suite des tueries de masse d’Al-Qaïda le11 septembre.

Présentement, les États-Unis, Israël, la Russie, la Corée du Nord et bien d’autres membres de la communauté des nations continuent d’assassiner leurs opposants sans avoir à rendre des comptes. Le monde est revenu au droit divin des rois de décider qui vivra et qui mourra. Bergman a accompli le précieux service de nous refuser le droit de prétendre – comme tant d’Allemands l’ont fait en 1945 – que nous ne savions pas.

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