Chirac, Bush, Aznar, l’Irak et le roi du Maroc

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Chirac, le président qui a jeté Aznar dans les bras de Bush

Ignacio Cembrero

El Confidencial, 27 sept 2019

L’ancien président français, décédé jeudi à 86 ans, était un champion de la résistance contre « l’agressivité néo-impérialiste » de Bush tout au début du 21e siècle.

Les dernières semaines de l’hiver 2003 ont été marquées par une bagarre diplomatique constante entre les partisans de l’invasion de l’Iraq dirigé par les États-Unis et ceux qui, dirigés par la France, s’y sont opposés du côté des pays occidentaux. L’Espagne, sous le gouvernement de José María Aznar, était alors, par ordre d’importance, le troisième allié occidental d’un président, George Bush, déterminée à mettre fin aux armes de destruction massive que le dictateur Saddam Hussein n’avait plus.

Aux yeux de nombreux partis sociaux-démocrates, progressistes et également de nombreux pays en voie de développement, le président Jacques Chirac, décédé jeudi à 86 ans, est alors devenu le champion de la résistance à « l’agressivité néo-impérialiste » d’un Bush qui a essayait de reconfigurer la carte du Moyen-Orient en faveur des États-Unis et, au bout du compte, d’Israël. « L’Iraq ne représente pas aujourd’hui une menace immédiate qui justifie une guerre immédiate », a déclaré Chirac le 18 mars 2003, atteignant alors les parts de popularité les plus élevées en France et au-delà de ses frontières.

Ces mois-là ont probablement été le pire moment des relations entre Madrid et Paris depuis que l’Espagne a adhéré, en 1986, à l’actuelle Union Européenne. Les premières crises ​​entre les deux capitales sont apparus en février 2000, lorsque Jacques Chirac a promis à l’Elysée de collaborer avec l’Espagne dans tous les domaines sauf celui de la pêche avec le Maroc, car il fallait pas inquiéter le roi jeune et inexpérimenté Mohamed VI.

« Le Maroc a été le premier facteur de distanciation entre Aznar et Chirac », a reconnu à plusieurs reprises le diplomate Ramón Gil Casares, qui avait alors dirigé le cabinet international de Moncloa. Au-delà de la pêche, le voisin du sud a ensuite suscité quelques autres frictions – dont l’une sur le Sahara occidental – entre les deux anciennes puissances coloniales européennes qui ont partagé le Maroc au début du siècle dernier.

Persil, cet îlot situé à moins de 200 mètres des côtes marocaines, a toutefois provoqué la plus grande collision entre les deux pays en juillet 2002. Après qu’une poignée de militaires marocains en a pris possession, en brisant le « statu quo », Aznar a appelé un bon nombre de chefs de gouvernement et d’État occidentaux pour les informer et demander leur solidarité. Chirac était le dernier qu’il avait contacté parce qu’il craignait sa réponse.

Chirac « m’a suggéré la livraison [au Maroc] de tous les rochers espagnols de la côte marocaine ainsi que de Ceuta et Melilla », a révélé Aznar à ce journaliste lors d’une conversation tenue il y a 13 ans pour préparer un livre (« Voisins lointains », éditorial Galaxia Gutenberg). Plus tard, l’ancien président l’a également raconté dans ses mémoires. « Vous devez savoir que [la prise de Persil le 11 juillet 2002] était non seulement impulsée par le Maroc, mais il y avait aussi un autre pays derrière lui », a ajouté le président dans une allusion claire à la France. Michel Bonnecorse, qui était le conseiller de Chirac pour l’Afrique, nie fermement cette version d’Aznar sur l’action française.

Aznar n’a pas pu prouver que Paris avait incité Mohamed VI à s’emparer de l’îlot, mais dans les jours qui ont suivi sa prise, il était clair que Chirac apportait son soutien au royaume alaouite. Le président français aurait alors pu jouer un rôle de médiateur qui aurait augmenté son prestige, mais il a choisi de s’aligner sur un Maroc avec lequel il se croyait endetté. «Majesté, je dois beaucoup à votre père» («Majesté, je dois beaucoup à votre père», éditorial Albin Michel, Paris 2016) est le titre d’un livre du journaliste du Monde, Jean-Pierre Tuquoi. Il reprend une phrase de Chirac prononcée devant Mohamed VI en 1999, après le décès de son père, Hassan II. Il voulait aider le nouveau roi comme son père l’a aidé.

La diplomatie française n’avait pas l’habilité suffisante pour empêcher une déclaration, en solidarité avec l’Espagne, de la présidence danoise de l’UE, mais a par la suite opposé son veto à tout. Chirac considérait que la conquête de Persil était une « erreur » et il l’a dit à plusieurs membres de la famille royale marocaine – pas au roi – mais il s’est appliqué plus tard dans le but de sortir le monarque des ennuis dans lesquels il s’était fourré. C’est pourquoi il a avorté toute tentative de l’Union européenne de soutenir l’Espagne, même au sein de son Comité de Politique et Sécurité, un organe secondaire.

Des personnages aussi éloignés que Jorge Dezcallar, alors directeur du CNI, et Olivier Schrameck, ambassadeur de France à Madrid, s’accordent à dire que Persil marque un avant et un après dans la politique étrangère d’Aznar. L’îlot « constituait un tournant pour le président espagnol », a déclaré M. Dezcallar, car « incapable de compter sur la France », il a choisi de renforcer ses liens avec Bush.

Aznar était alors convaincu « que les États-Unis, intercesseur complaisant [sa médiation entre Madrid et Rabat a été couronné de succès], étaient le meilleur allié de l’Espagne et que, dans ces circonstances, l’Espagne pourrait devenir à son profit le meilleur allié des États-Unis », écrit-il. Schrameck dans son livre «Mémoires d’alternance» (Paris, Le Seuil 2005). D’où la célèbre photo de l’archipel portugais des Açores sur laquelle Aznar a été photographié, à la veille de l’invasion de l’Irak, avec Bush et le britannique Tony Blair.

Aznar ne nie pas cette interprétation de sa fureur pro-Bush, il ne fait que la nuancer un peu. Il assure avoir déjà entamé «une politique de renforcement atlantique», c’est-à-dire de rapprochement avec Washington. En faisant une gaffe, Chirac a donné «plus d’opportunités aux États-Unis» dans ses relations avec l’Espagne.

Avec l’arrivée de José Luis Rodríguez Zapatero en 2004, les eaux sont revenues dans leur canal avec le Maroc et la France. Depuis lors, 15 années se sont écoulées sans la moindre friction avec le voisin du nord – la relation est splendide – et seulement quelques-unes sans importance – l’interception du yacht royal par la Garde civile en août 2014 à Ceuta – avec celui du sud. L’obsession de maintenir les meilleures relations avec la monarchie alaouite a conduit Pedro Sánchez à être, mardi dernier, le premier président espagnol à parler du Sahara occidental aux Nations Unies sans faire référence au droit des Sahraouis à l’autodétermination.

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