Belgique : L’exclusion d’Emir Kir, sonne-t-elle le glas du communautarisme électorale?

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Les faits. Après la polémique qui a suivi la rencontre entre Emir Kir, bourgmestre PS de Saint-Josse, et des représentants turcs d’extrême droite, la commission de vigilance du Parti socialiste a finalement décidé d’exclure du parti celui qui constituait sans conteste l’un de ses porteurs de voix. Cette exclusion retentissante est-elle le signe d’un changement de politique ou renforcera-t-elle au contraire les adeptes de la double allégeance, partagés entre leur pays d’origine et leur pays qui les a élus ? Politologue, analyste et acteurs de terrain nous ont donné leur avis.

« Il faut d’abord rappeler que l’exclusion d’Emir Kir a été décidée en raison de la rupture du cordon sanitaire à l’égard de l’extrême droite, et non pas dans le cadre d’une condamnation d’un communautarisme qui demeure, du reste, un concept difficile à définir », souligne le directeur du Centre de recherche et d’information socio-politiques (CRISP), Jean Faniel. « Toutefois, une fois l’exclusion prononcée, se pose effectivement la question de l’avenir d’Emir Kir qui pourrait effectivement se replier sur une base électorale communautaire à Saint-Josse. A cet égard, paradoxalement peut-être, cette exclusion pourrait y attiser cette forme de communautarisme que de nombreuses voix dénoncent aujourd’hui.

En effet, au vu des premières réactions, il est difficile de savoir comment les choses vont évoluer en la matière. La procédure d’exclusion, puis l’exclusion elle-même ont déclenché des réactions très vives, notamment à l’encontre du militant qui a impulsé la procédure, et qui étaient assez clivées d’un point de vue communautaire ou communautariste. Emir Kir a conservé le soutien de la quasi-totalité de ses proches à Saint-Josse. Cet épisode pourrait donc contribuer à “mettre de l’ordre” dans les rangs du Parti socialiste en envoyant le signal que le communautarisme ne permet pas de déroger à des valeurs fondamentales du parti, telles que la lutte contre le négationnisme et la préservation du cordon sanitaire contre l’extrême droite. Mais il pourrait aussi déboucher sur la formation durable d’une majorité à caractère communautaire dans une commune bruxelloise, se détachant progressivement des formations politiques belges classiques, dont les contours obéissent avant tout à des logiques politiques et non à des logiques “ethniques” (même si le clivage linguistique est évidemment très marqué et peut lui aussi être considéré comme relevant en partie du communautarisme puisque chaque parti fait campagne dans sa communauté linguistique, puis défend les intérêts de celle-ci une fois passée l’élection) ».

« S’agissant du débat sur le “communautarisme” que cette affaire a aussi entraîné, il me semble essentiel que nous nous posions la question suivante : quels phénomènes vise-t-on précisément par ce terme, et le cas échéant quels comportements doit-on proscrire ? », réagit Jérémie Tojerow, membre du PS et auteur de la plainte. « Faute de définition claire et objective, il est à craindre que l’usage de ce mot vise avant tout à disqualifier l’adversaire politique plutôt que de faire réellement avancer le débat. Par exemple, quand les candidats juifs issus de tous les partis font publier des encarts électoraux dans la revue Regards plutôt que dans la revue de telle ou telle autre communauté, est-ce du “communautarisme électoral” ? Placarder des affiches électorales à l’entrée d’une épicerie juive ou même d’une synagogue, est-ce du “communautarisme électoral” ?

Quand les élus d’un même parti sont autorisés à voter individuellement au sujet de projets de loi relatifs à l’euthanasie ou au mariage pour tous, en fonction de leurs convictions personnelles et/ou celles de leur électorat supposé plutôt qu’en fonction d’une position commune de leur parti, est-ce du “communautarisme électoral” ? Et si l’on considère que ces différentes attitudes relèvent du “communautarisme électoral”, sont-elles nécessairement à proscrire ? Pour ma part, deux éléments me paraissent fondamentaux : d’une part, les partis doivent pouvoir s’adresser à l’ensemble de la population dans toutes ses composantes (en ce compris le cas échéant via Regards ou des affiches devant une épicerie casher…), et la représenter avec des candidats qui sont issus de toute sa diversité, notamment aussi socio-professionnelle.

D’autre part, et c’est le point crucial, les partis et leurs candidats, quelle que soit leur origine, doivent tenir le même discours et défendre le même programme, les mêmes valeurs, les mêmes pratiques (comme le cordon sanitaire) partout et devant tous les publics. Il est compréhensible que les candidats présents à la Gay Pride mettent en avant des propositions en lien avec les droits des personnes homosexuelles et non par exemple en lien avec l’agriculture. Il est par contre à mon sens problématique que les mêmes candidats ou leurs colistiers défendent en même temps, auprès d’autres publics plus conservateurs, des propositions et discours différents afin de les séduire. Représenter toute la population avec des candidats issus de tous les milieux et origines, tout en bannissant les doubles discours, voilà l’enjeu central à notre sens. Et pour cela, les partis politiques, souvent décriés, ont un rôle fondamental à jouer ».

La fin du communautarisme électoraliste ? « Pas du tout… », selon Dogan Özgüden, journaliste et éditeur du site www.info-turk.be. « Le cas Emir Kir est un arbre qui cache la forêt communautariste, dans cette forêt se trouve toute espèce d’opportunisme. C’est la conséquence de l’absence pendant ces décennies d’une politique d’intégration conforme aux valeurs démocratiques européennes d’une part, et d’autre part, de la mainmise des régimes répressifs des pays d’origine sur les immigrés. Le pouvoir d’Erdogan ne cessera jamais de harceler les ressortissants turcs pour maintenir leur soutien au lobby turc contre les revendications des diasporas arménienne, assyrienne et kurde…

Quant aux partis politiques belges, le risque de perdre le soutien des électeurs captifs du régime d’Ankara sera déterminant dans leur prise de position. D’ailleurs, n’oublions pas que le parti fasciste MHP est le partenaire principal d’Erdogan et la politique de ce dernier est devenue aussi fascisante que celle du MHP. Tant que les députés du MHP et de l’AKP font partie de la Commission parlementaire mixte UE-Turquie et sont souvent présents sans aucun empêchement dans les réunions des associations nationalistes et islamistes en Belgique, il sera difficile de juger et d’exclure tous les élus turcs pour rompre le cordon sanitaire en raison de leurs relations avec eux ».

« Je pense que c’est une alerte, mais on ne se débarrasse pas comme ça de 50 ans de communautarisme », estime le comédien Sam Touzani (photo (c) Jef Boes), auteur-interprète de la pièce “Cerise sur le ghetto”, qui rencontre énormément de succès, tant auprès du grand public que des publics scolaires. « Je répète depuis toujours que le communautarisme contient de la nitroglycérine, on ne le comprend malheureusement que lorsqu’il explose. Avant cela, on nie la réalité, pour des raisons bassement électoralistes. La vie politique belge nous l’a montré à plusieurs reprises.

Mais avant de vouloir lutter contre le communautarisme issu de l’immigration marocaine, turque, on ne peut faire l’économie de l’analyse de la situation belgo-belge. Nous sommes dans le pays le plus communautarisé au monde, et on oublie de le préciser, comme si c’était réglé. La question est juste mise au frigo, il ne faut pas s’étonner dès lors de la continuité du contexte national dans le contexte local, avec ses dérives perverses. Même si on parle d’un problème territorial, linguistique chez nous, et non de l’emprise d’Etats étrangers sur des communautés d’origine, d’une volonté de contrôle extérieur, c’est la même logique. Nos politiques ont laissé pourrir la situation pour garder de bonnes relations diplomatiques, mais aussi économiques, au détriment de l’éthique.

Pourquoi s’attacher sinon à l’Arabie saoudite, si ce n’est pour lui vendre des armes ? On voit aujourd’hui où le communautarisme mène. Quand Emir Kir est élu chez nous, même s’il veut nous faire croire que l’extrême droite belge est différente de l’extrême droite turque, c’est avec des arguments nationalistes, de même que l’a été Mahinur Özdemir, première élue voilée au Parlement bruxellois, aujourd’hui ambassadrice de la Turquie en Algérie ! Non seulement ces élus ne sont pas détachés de leur pays d’origine, mais il est rare que ces pays d’origine ne soient pas une dictature ou une théocratie ».

De l’avis de plusieurs de nos interlocuteurs, la définition du communautarisme devrait être clarifiée. Comme s’il n’était pas évident que ce que l’on condamne n’est pas le choix des candidats aux élections de s’adresser à ceux qu’ils considèrent comme leur principale cible, mais bien le double-discours dont certains font preuve, dans leur langue d’origine. Un double-discours, pour une double allégeance, relayant souvent d’autres valeurs avec les dérives que l’on connait, et qui entretient la confusion entre le pays dans lequel ils vivent et se portent candidats, et celui dont ils sont originaires, avec lequel ils ont naturellement gardé une attache. Mais jusqu’à quel point ? On évoquera toujours la communauté juive en évoquant la communauté musulmane, par souci d’équilibre sans doute, et qu’importe finalement la réalité. Comparer le cas des candidats juifs à celui des candidats d’origine turque (pour le cas d’Emir Kir) ne fait malheureusement qu’entretenir l’amalgame entre Juif et israélien, desservant le combat démocratique en faisant diversion pour renvoyer les communautés dos à dos.

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