Quand un dessein animé provoquait une crise entre le Maroc et le Koweït

La prostituée marocaine et les bédouins

Après Egypte/Algérie pour une histoire de ballon, voilà Maroc/Koweït pour une histoire de cartoons. Un dessin animé satirique d’ « Al Watan Al Kuweiti » serait une atteinte à la dignité de la femme marocaine qui y serait présentée comme une péripatéticienne matérialiste et doyenne en matière de sorcelleries. La question de l’honneur des marocains a alors tout d’un coup resurgi ce Ramadan.

Pour ne pas juger ce que je ne connais pas, j’ai visionné tous les épisodes du cartoon qui s’est avéré être une fine critique de la société koweitienne et des mentalités qui y règnent. Il traite, de façon fort plaisante, moult problématiques touchant cette société (l’éducation nationale, la culture, l’islamisme, le statut de la femme, les médias..) sur plus de 100 épisodes dont 3 sont consacrés au tourisme extérieur des koweitiens, caricaturé par le voyage de ses héros au Maroc. Il n’est donc pas question d’une offense préméditée ou visée des marocaines comme on veut bien nous le faire croire.

J’aimerai d’abord rappeler que la bande dessinée est un travail artistique. C’est donc une œuvre qui n’exprime que le point de vue subjectif et relatif de son auteur, qu’il essaye de dépeindre. Elle ne prétend pas être une étude scientifique, rigoureuse et vérifiable, apportant une vérité absolue. De même, si elle se veut satirique, elle va tout exagérer, c’est le principe de la caricature : on grossit les traits pour provoquer le rire, et au-delà du rire la réflexion. Ainsi toute production artistique n’est pas tenue d’apporter des vérités, son rôle n’est pas éducatif. Elle est uniquement le reflet d’une conception du réel, elle se doit d’être de qualité et de respecter les lois en vigueur. Ce travail devient constructif dès lors qu’il permettra d’ouvrir un débat sur la question traitée.

Face à ce dessin animé fort sympathique, les marocain(e)s ont crié au scandale. Autant les autorités que la rue, tout le monde est révolté. Manifestations devant l’ambassade du Koweït, demande d’excuses officielles ainsi que l’arrêt de diffusion du dessin animé blasphémateur, piratage des sites gouvernementaux koweitiens par nos hackers érigés en héros nationaux pour avoir vengé l’honneur de nos sœurs. D’autres s’en vont créer des groupes facebook pour défendre la dignité de la femme marocaine et rappeler ses exploits historiques – tout comme le populiste qui roule en Q7, dans sa colonne d’Al Masa2, nous a dressé un glorieux tableau de la marocaine qui serait la première partout : dans l’espace, au pôle Sud, en politique, en athlétisme, à la guerre et je ne sais où ! Les blogueurs transforment cette petite histoire en une affaire d’Etat de la plus haute importance, pendant que d’autres, « pour rester honnêtes », affirment que le dessin animé n’est pas très loin de la dure réalité marocaine et qu’il y a une grande part de vérité amère dedans : «Le Maroc va mal !». Ils ne croient pas si bien dire, parce que le problème n’est pas là où on l’imagine.

Déjà, exiger la censure de tout travail qui ne caresse pas dans le sens du poil c’est promouvoir la pensée unique, c’est-à-dire le totalitarisme et la dictature. Les réactions de nos sacro-saints défenseurs invétérés de la dignité de nos femmes relèvent plus d’un puritanisme nationaliste, qui se croit défendre l’honneur de l’entre-jambes de ses dames, que d’un noble patriotisme. Ils ont beau s’habiller aux couleurs du drapeau national, en exigeant la censure ils ne font que donner raison à notre politique gouvernementale qui ne reconnait pas la liberté d’expression.

Ensuite, et dans un souci de cohérence, ceux qui prétendent que la stigmatisation peut être acceptée vu que la réalité marocaine s’en rapproche, doivent aussi être d’accord quand des journaux occidentaux présentent les musulmans comme étant des terroristes. Aussi, ceux qui désapprouvent la stigmatisation des marocaines, se doivent de condamner celle dont sont victimes les arabes du Golf dans nos rues et productions artistiques nationales.

Vous l’aurez compris, ceux qui stigmatisent les marocaines et ceux qui les flattent sont tous deux dans l’erreur parce qu’il n’y a pas de bonne ou mauvaise nationalité. Ce détail qui décide la couleur du passeport n’est qu’une création artificielle sans aucune valeur humaine, déterminée par des traits dessinés à la règle sur du sable : les frontières. Les comportements humains sont conditionnés par le milieu socio-économico-culturel et non pas par des bordures géographiques. Il n’y a pas de quoi être fier ou avoir honte d’une nationalité, d’autant plus qu’on ne choisit pas son pays de naissance. Donc les brebis galeuses il y en a partout et aucune nationalité n’est épargnée par les fléaux. L’incidence de ces derniers dans un pays plus qu’un autre dépendra du niveau économique et culturel de la société ainsi que des politiques qui y sont mises en place.

En partant de ce principe, on comprend la prostitution galopante au Maroc. Tout pays ou région qui décide de miser sur le tourisme pour assurer sa croissance économique voit se développer localement des réseaux de prostitution (Sud de la France, Sud de l’Espagne, Brésil, Thaïlande, Egypte, Liban..). Plus la répartition des richesses est inégale et plus ce fléau sera important : Au Maroc, les richesses produites étant détournées par la classe dominante et ne profitant donc pas aux couches d’en bas, les plus démunis, pour survivre au système, sont obligés de s’organiser en créant une économie alternative qui court-circuite l’Etat : le cannabis, la prostitution et le vol.

Ainsi, je ne pense pas que les marocaines soient moins vertueuses que leurs homologues orientales ou occidentales : enlevez le pétrole au Koweït, laissez leurs femmes sans éducation tout en supprimant le tutorat masculin sur leur vie et certaines agiront de la même manière. De même pour les françaises, les canadiennes ou les chinoises. La misère, l’ignorance et la liberté ne font pas bon ménage en général. Et il suffit, dans ce climat, d’offrir à celles-ci une télévision qui les pousse à suivre la mode pour comprendre pourquoi certaines s’adonneront tout de même à la prostitution sans l’alibi de la misère : pour avoir plus, plus facilement.

C’est donc le système libéral qui est en cause. Le Profit en bon Dieu, avec l’Argent comme religion et le Capitalisme comme prophète, forment la nouvelle Sainte Trinité qui prône le mépris de la culture et de la morale.

L’ethnicisation des problèmes sociaux est un terrain glissant parce qu’elle prend pour socle des stéréotypes simplistes et tranchés qui n’ont aucun fondement rationnel. Ces raccourcis intellectuels, véritables miroirs grossissants et déformants d’une réalité relative, laissent libre court aux représentations massives. Et les fantasmes prennent la place de la réalité. Ainsi, on essentialise, on généralise, et par facilité ou par paresse, on applique des réalités partielles et partiales à tous. Le racisme commence de la sorte et des sociétés entières ont été aveuglées par des propagandes massivement diffusées : les Arméniens de l’Empire Ottoman, les juifs d’Europe de la deuxième guerre mondiale, Le Rwanda, la Bosnie…

Il est temps que les peuples arabes avec leur mentalité maladive décident de mener une politique de lutte contre les clichés et les sobriquets qu’ils se collent les uns aux autres. Cela passe d’abord par l’éducation, notamment le développement de l’esprit critique, ensuite en encourageant la création de réseaux d’échanges entre jeunes pour que les peuples apprennent à se connaitre.

Il ne s’agit pas de faire l’autruche, parce qu’au-delà de la stigmatisation perverse par quelques bédouins frustrés, Kenza et Oumaïma – si chères à Abou Katada – existent réellement. Tous les jours des marocaines vendent leurs charmes au plus offrant, au Maroc ou à l’étranger, poussées par le besoin, qui est soit créé par le système corrompu qui appauvri les plus pauvres soit par la pub qui les aliènent en vulgaires consommatrices. L’affaire c’est de ne pas s’indigner contre un dessin animé qui en fait la caricature mais contre notre gouvernement qui n’a rien à proposer à ces femmes. En dehors des efforts de quelques associations bénévoles largement dépassées par l’ampleur du phénomène, quel rôle joue notre gouvernement dans l’éducation, la sensibilisation et l’embauche de cette tranche de la société victime du système ?

Et à une échelle plus large, quelles solutions propose notre gouvernement à cette jeunesse unisexe, exclue de l’aval de notre économie néolibérale et qui pour s’en sortir n’a devant elle que le chemin de la délinquance, la prostitution ou le trafic de drogues ? Donc au lieu de s’en prendre à un ennemi imaginaire situé à des milliers de kilomètres, faisons le ménage dans les fauteuils verts de notre parlement. Ce qu’on attend d’un gouvernement responsable c’est de proposer une éducation et une source de revenu à ces femmes ignorantes et déshéritées et non pas de réclamer des excuses officielles : Garantir les droits avant de défendre l’image.

L’honneur de la marocaine est souillé non pas par pareilles propagandes mais par ce système qui ne lui garantit pas le minimum pour pouvoir aspirer à une vie décente. La véritable atteinte à la dignité de la marocaine est l’humiliation que cette dernière subie lorsqu’elle revendique ses droits fondamentaux ou dénonce une injustice. Défendre la dignité de la femme marocaine, au nom de l’arabité ou l’islamité, c’est se lever contre son véritable oppresseur. La prostitution n’est qu’un cri de détresse et de douleur ; mais où est Al Mo3tassim ?

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